La Cistude d'Europe
La Cistude d’Europe (Emys orbicularis) est l’une des deux espèces de tortues aquatiques indigènes présentes en France, avec l’Emyde lépreuse (Mauremys leprosa). Discrète et farouche, elle occupe une grande diversité de milieux aquatiques. Présente en France depuis la fin du Pliocène (il y a 2 à 3 millions d’années), elle est aujourd’hui en forte régression sur l’ensemble de son aire de répartition européenne. Les principales causes de cette régression sont la perte et la dégradation de ses habitats terrestres et aquatiques, la fragmentation des ses populations, certaines pratiques agricoles et piscicoles défavorables, la prédation, les prélèvements d’individus et, enfin, l’introduction d’espèces exotiques invasives.
Inscrite à l’annexe II de la Convention de « la vie sauvage et du milieu naturel » (Berne 1979), aux annexes II (espèce d’intérêt communautaire dont la conservation nécessite la désignation de zones spéciales de conservation) et IV (espèce d’intérêt communautaire qui nécessite une protection stricte) de la directive européenne « Habitat Faune et Flore » du 21/05/1992, la Cistude d’Europe est aujourd’hui une espèce patrimoniale reconnue. En France et en région Centre-Val de Loire, elle est totalement protégée depuis 1979 (arrêté du 24/04/1979) et est considérée comme quasi-menacée par l’UICN, c'est à dire menacée si des mesures de conservation spécifiques ne sont pas prises (UICN 2008; Dohogne, 2013).
On distingue aujourd’hui 13 sous-espèces en Europe, dont trois sont présentes en France. Les prélèvements ADN effectués en 2012 dans le sud de l’Indre-et-Loire par l’ANEPE CAUDALIS ont permis d’identifier la sous espèce des individus présents dans ce secteur. Très proches génétiquement des Cistudes d’Europe présentes en Brenne, les Cistudes capturées en Indre-et-Loire ont toutes été identifiées comme appartenant à la sous-espèce Emys orbicularis orbicularis (Linnaeus, 1758). L’appartenance exclusive des individus capturés à cette sous- espèce témoigne de l’indigénat de cette espèce en Indre-et-Loire et, plus particulièrement, sur notre territoire d’étude.
Son statut en Indre-et-Loire
En 2010, une étude financée par la DREAL Centre-Val de Loire dans le cadre du Plan National d’Actions a permis de faire un premier bilan des connaissances disponibles sur cette espèce en Indre-et-Loire et d’apporter de nouvelles informations sur sa distribution (Owen-Jones, 2010).
Cette synthèse des connaissances disponibles a permis de répertorier plus d’une dizaine de communes ayant accueilli l’espèce au moins une fois. Une analyse spatiale plus fine de ces données permet de mettre en évidence l’existence de plusieurs secteurs aux enjeux divers (réservoirs et corridors de déplacements).
Un premier secteur est situé autour de la vallée de la Creuse, à proximité de la Brenne des étangs. Ce secteur semble assez bien occupé par la Cistude d’Europe et les populations présentes sont fort probablement toujours connectées aux populations de Brenne (Owen-Jones 2010). La Creuse joue ici certainement un rôle majeur de corridor écologique pour l’espèce.
Un deuxième secteur, proche du premier, se situe au nord de la rivière Claise et concerne les communes de Charnizay et de Saint-Flovier, ainsi que quelques étangs de la Forêt de Preuilly-sur-Claise. Ce secteur accueille une population non négligeable, en particulier au niveau des étangs de la Houssaye. En 2012, toujours dans le cadre du PNA Cistude et grâce au soutien de la DREAL Centre, l’ANEPE CAUDALIS a pu confirmer l’importance de cette population qui a été estimée à une soixantaine d’individus. Cette estimation demande toutefois aujourd’hui à être précisée par de nouvelles sessions de Capture-Marquage- Recapture, l’incertitude autour de cet effectif théorique demeurant relativement importante.
Enfin, un troisième secteur, plus large et moins nettement délimité, occupe la grande moitié nord de l’Indre-et-Loire. Sur ce dernier secteur, il s’agit toutefois bien souvent d’observations d’individus isolés.
Suivi des populations de Cistude d'Europe en Indre-et-Loire
Une première étude en 2012
Il s'agit de la première étude mise en place sur cette espèce dans le département, elle a été menée grâce au soutien financier de la DREAL Centre et grâce au soutien technique et logistique de la Réserve Naturelle de Chérine (formation, prêt du matériel de capture). Lors de cette première saison, les sessions de capture-marquage-recapture (CMR) qui ont été mises en place sur un réseau d'étangs privés ont conduit à la capture de 15 individus (estimation de la taille totale de la population à environ 60 individus). Ce chiffre peut paraître relativement faible pour un site situé en périphérie de la Brenne, un des bastions pour l'espèce en France.
La population étudiée en 2012, ainsi que celles évoluant au nord de la vallée de la Claise, comptent parmi les plus menacées de notre département (observations visuelles de peu d’individus et/ou pas d’indices de reproduction) et nécessitent l’application d’un programme de conservation.
Le projet Cistude : 2013-2017
Nous avons décidé de poursuivre cette étude jusqu'en 2017 en incluant un volet sur l'occupation du territoire en fonction des variables paysagères micro-locales et à grande échelle. Cette étude va nous permettre de caractériser la présence de sites de ponte et autres zones d'activités pour l'espèce mais également d'étudier le déplacement des individus en fonctions des corridors et des barrières physiques présentes au sein de leur domaine vital (télémétrie).
En 2013, les recherches effectuées au sein de sites caractérisés comme favorables à l'espèce en 2012 ont permis de localiser 2 nouveaux sites de présence de la Cistude d'Europe. La poursuite de l'étude CMR a permis d'identifier 9 nouveaux individus dont 2 juvéniles !
En 2014, l'étude de CMR a été déployée au sein d'un réseau de trois étangs de la forêt de Tours-Preuilly. Charlotte GIORDANO, étudiante de l'Université de Poitiers en stage de Master 1, a réalisé les premières captures d'individus de cette population forestière. Ce travail a permis d'estimer la taille de cette population entre 13 et 23 individus.
En parallèle, un système inédit de suivi des individus couplant GPS Data Logger, balise VHF et panneau solaire.était réalisé en partenariat avec l'école polytechnique de Tours afin d'être déployé en 2015.
En 2015, Mathieu DEVILLE et Aurélia LE NAOUR ont réalisé leur stage de Master 2 au sein de l'association. Ce stage avait pour but d'étudier l'occupation du territoire par la Cistude au sein de trois réseaux de sites (déplacements, sites de ponte ...) en utilisant le nouveau système de GPS Data Logger.
Cette étude a été réalisée au sein des sites étudiés depuis 2012 sur la commune de Charnizay et en Forêt de Tours-Preuilly ainsi qu'au sein d'un réseau d'étangs privés sur la commune de Saint-Flovier.
Les résultats ont permis de mettre en évidence les déplacements des individus au sein des réseaux de sites et d'identifier des secteurs de ponte jusque-là inconnus. Ces découvertes nous orientent dans la gestion conservatoire des populations étudiées.
En parallèle, des prospections réalisées grâce à l'Agende l'Eau Loire Bretagne dans la vallée de la Creuse ainsi que dans la pointe sud du département ont permis de découvrir de nouveaux sites occupés par la Cistude d'Europe.
En 2016, Paul COIFFARD a réalisé son stage tuteuré de DUT en poursuivant l'étude de CMR initiée depuis 2012. Son travail a permis de préciser les tailles des populations étudiées ainsi que les taux d'immatures (entre 13 et 27% selon les sites).
En 2017, une dune de ponte artificielle a été créée sur un site qui accueille une population assez âgée (13% d'immatures) et présente très peu de site de sites de ponte favorables. Cette opération va permettre de dynamiser la population en augmentant le recrutement. La dune de ponte mesure environ 200 m2, elle a nécessité 16 tonnes de sable de remblais (provenant d'une carrière de l'Indre) et sa création a pris une journée.
À moyen terme, l'utilisation de cette dune sera suivie régulièrement (recherche de traces ou de nids prédatés) et une attention particulière sera portée au maintien de ses capacités d'accueil (contrôle de la végétalisation, etc).
Cette action marque la fin du projet Cistude initial même si les prospections et les suivis départementaux vont se poursuivre à moyen terme (il est prévu la reprise de l'étude CMR d'ici 5 à 10 ans afin de mesurer l'efficacité de la dune de ponte sur la dynamique de la population concernée).